Honorez-vous les uns les autres

MENU DU SITE




« Honorez-vous les uns les autres au-dessus de vous-mêmes ».                       

Cette parole de Romains 12,10 n'est pas reconnaissable sous cette forme dans nos versions habituelles : « Par honneur, usez de prévenances réciproques, rivalisez d'estime réciproque, mettez du zèle à vous respecter les uns les autres ». Les exégètes nous disent que ce verset « n'a pas encore reçu d'interprétation satisfaisante » (FJ. Leenhardt), qu'on peut hésiter entre deux sens possibles ; devancez-vous, surpassez-vous en honneurs, ou : estimez les autres davantage que vous-mêmes (ce qui reviendrait au même que Ph 2.3).

Si nous replaçons le verset dans son contexte, nous remarquons qu'il se trouve dans toute une série de conseils illustrant l'amour entre frères, un amour « sans hypocrisie » (v. 9). La liste énumère littéralement : « Quant à l'amour fraternel, soyez pleins d'affection les uns pour les autres, quant au zèle... quant à l'espérance... à l'affliction... à la prière... aux besoins des saints... » Nous remarquons que l'honneur est mentionné immédiatement après l'évocation de l'amour fraternel. Au chapitre suivant Paul dit : « Rendez à tous ce qui leur est dû... l'honneur à qui vous devez l'honneur » (13.7).


L'honneur fait partie des besoins vitaux de l'homme.

Ravir à quelqu'un son honneur est pire que le dépouiller de ses biens. « Perte d'argent n'est pas mortelle », mais perte d'honneur peut l'être, car elle ôte à l'homme l'un des remparts les plus efficaces contre l'animal qui sommeille en chacun de nous et contre les forces d'inhumanité qui nous environnent. Un homme sans honneur est capable de tout : il n'a plus rien d'important à perdre. C'est pourquoi l'apôtre demande de rendre à chacun l'honneur qui lui est dû ; vis-à-vis des frères, cependant, il faut les « surpasser » en marques d'honneur, être les premiers à leur en témoigner. « Vous aimez à être honorés ? Commencez par honorer les autres ». Application du principe énoncé par Jésus : « Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le pour eux » (Mt. 7.12).

Entre chrétiens, on n'a jamais été très généreux en marques d'honneur réciproques : « Cela ne contribuerait qu'à rendre les autres orgueilleux. Au contraire, tout ce qui nous humilie nous fait du bien : humilions-nous donc mutuellement pour nous garder petits ! »

Ce n'est pas l'avis de la Parole de Dieu. Pourquoi Paul demande-t-il d'honorer les autres ? Chacun de nous a, au tréfonds de lui-même, un besoin vital de connaître sa valeur.


Le sentiment de valeur.

Le premier livre que j'ai acheté de mon argent de poche contenait un chapitre intitulé : « e sentiment de valeur » (Das Wertgefuh !).

L'auteur disait : « Je dois avoir le sentiment que je vaux quelque chose. Un homme qui ne sait pas qu'il a une signification pour les autres se détruit intérieurement. Lorsque le sentiment de valeur n'est plus en ordre, toutes sortes de troubles intérieurs apparaissent ». On essaiera de compenser - ou de surcompenser - pour se prouver qu'on est capable de quelque chose. Mais ces compensations peuvent fort bien être négatives : par des délits ou par le crime, par la médisance, le don-juanisme, etc. Il faut à tout prix que j'aie une valeur à mes yeux et aux yeux d'autrui. Si je fais une chose que je réprouve, je me dévalue à mes propres yeux. Si d'autres expriment leur réprobation et leur mépris, mon sentiment de valeur s'en trouve encore plus affecté.

C'est pourquoi nous essayons de paraître sous notre meilleur jour aux yeux des autres. Nous soignons notre « image de marque ». Mais si la distance entre l'image que nous présentons au-dehors et ce que nous sommes en réalité devient trop grande, alors nous avons le sentiment d'être hypocrites - et notre sentiment de valeur intérieur en souffre également. C'est pourquoi il est si important d'accorder ce que nous sommes à ce que nous présentons au public.

L'honneur, nous dit le dictionnaire, est le « bien moral dont on jouit quand on a le sentiment de mériter de la considération et de garder le droit à sa propre estime ». Il est synonyme de dignité, fierté, estime, respect (de soi-même). Alors seulement, si nous sommes en accord avec nous-mêmes et notre entourage, si nous avons le sentiment intime de notre valeur et sa confirmation extérieure, nous sommes « bien dans notre peau ». Nous avons besoin des deux.


Considération ou mépris ?

Cette confirmation extérieure ne doit pas rester seulement tacite (absence de critiques formulées), elle doit s'exprimer de temps en temps d'une manière explicite : par une parole, une mimique, un geste. Chacun de nous a besoin de se savoir estimé, de se sentir approuvé. Honorer nos frères et sœurs, c'est tout d'abord éviter ce qui pourrait blesser leur sentiment d'honneur, les dévaluer à leurs yeux : des jugements dépréciatifs, des marques d'indifférence ou des explosions de colère. Ce n'est pas pour rien que Jésus a dit : « Celui qui se met en colère contre son frère devrait être traduit en justice. Celui qui dit « espèce d'imbécile » mérite de passer devant la Cour suprême, et celui qui le traite d'insensé est bon pour aller en enfer » (Mt5.22). Il savait l'effet dévastateur de tels jugements sur le psychisme. Cela est particulièrement important dans nos relations avec nos enfants. Mettre un label dégradant sur quelqu'un, nous dit le Dr Tournier, c'est inévitablement contribuer à le conformer à ce label. (Les forts et les faibles, p. 57).

Mais honorer n'est pas seulement éviter ce qui déshonore. C'est aussi donner à l'autre des marques positives de notre estime. Généralement, un sourire, le ton aimable de la voix, une cordiale poignée de main, le traditionnel « Ça va ? » suffisent à entretenir le climat d'estime réciproque.


Honorer, c'est accorder du temps et de l'attention, de la considération et de la reconnaissance.

Cette exhortation trouve sa première application dans notre foyer. Toutes les marques habituelles d'honneur avec des étrangers sont opportunes aussi dans le contact quotidien avec les proches : les « Merci, Tu permets, Excuse-moi, Après toi... », les gestes de politesse et de déférence qui mettent de l'huile dans les charnières relationnelles. Petites choses, certes, mais dont l'omission prolongée a de grandes conséquences, car elle dégrade peu à peu le climat de valeur intime. L'épouse se demande : « Qu'est-ce que je vaux à ses yeux pour qu'il ne me demande même plus mon avis avant de prendre telle décision, qu'il ne me dise pas où il va en partant, ne pense pas à ma réaction devant tel comportement... ? »


« Usez de prévenances réciproques ».

Cette traduction a l'avantage d'attirer notre attention sur cet aspect relationnel quotidien dans nos rapports entre mari et femme, parents et enfants, frères et sœurs dans l'Eglise.

Certains chrétiens ont l'impression de devenir « mondains » en étant polis avec des frères et sœurs en Christ, de sorte que l'on rencontre parfois entre eux un climat froid et rustre que l'on ne trouve guère parmi des gens du monde. Si c'est en cela que consiste principalement le « non-conformisme chrétien », il n'a rien de spirituel et ne concorde guère avec la délicatesse et la politesse du cœur avec lesquelles Jésus et l'apôtre Paul ont traité les disciples. Il suffit de lire par exemple Rm 1 ; 15 et 16 ; 2 Co ; Ph ; Co ; Th... pour se rendre compte avec quel tact l'apôtre parlait à ses correspondants.

Mais honorer va plus loin. Honorer ses parents c'est leur témoigner son respect, sa reconnaissance et son amour, leur obéir, accomplir leurs désirs, s'occuper d'eux. Honorer ses frères et sœurs c'est leur exprimer l'affection que l'on a pour eux, l'estime pour leur travail, l'appréciation de leurs services et de leurs dons. En reconnaissant les dons d'autrui, j'honore le donateur et j'encourage leur bénéficiaire à les développer et à les utiliser pour la gloire de Dieu.


La valeur d'une appréciation.

Toute appréciation positive des dons et des virtualités de quelqu'un, non seulement conforte son sentiment de valeur, mais encore le stimule à développer ces dons pour être à la hauteur de l'opinion qu'on a de lui. Nous n'imaginons généralement pas tout ce qu'un encouragement à bon escient peut déclencher comme réactions positives. Un jour, j'ai vu arriver un nouveau professeur de mathématiques à l'Ecole Normale. « Vous ne me reconnaissez sans doute pas, me dit-il, mais j'ai été votre élève il y a vingt ans - pas un élève bien brillant, mais vous m'aviez marqué dans mon bulletin : A des possibilités de bien faire. Alors, je me suis dit : Mon maître doit le savoir mieux que moi. Et je me suis mis à faire des études. Et voilà où j'ai abouti ». En effet, je me rappelais qu'il avait été un élève plutôt moyen et j'étais sidéré de voir quel effet une remarque sans grand engagement avait fait sur lui.

Il faut croire que les appréciations positives sont plutôt rares car on m'a parfois rapporté, des années plus tard, des phrases anodines que j'avais depuis longtemps oubliées et qui avaient déclenché une orientation nouvelle de l'intérêt, voire une vocation : « II me semble que tu as un don pour parler aux enfants », « Tu devrais cultiver ton don musical », « Cette étude biblique était vraiment intéressante ».

Comme nous l'avons vu, cela ne veut pas dire que nous ne devions faire que des remarques laudatives, mais nos critiques passeront mieux si nous relevons d'abord tout ce qu'il y a de positif. Souvenons-nous aussi que le verbe exhorter, associé si souvent à l'expression « les uns les autres », peut aussi se traduire par encourager et qu'il n'a rien de commun avec « laver la tête ».

Puisqu'il faut être « les premiers » à honorer ses frères et sœurs, les prévenir dans les marques d'estime, n'attendez pas que les autres vous témoignent l'honneur auquel vous pensez avoir droit. Faites le premier pas ! Commencez par un petit pas auprès de la personne que vous avez conscience de ne pas avoir traité selon l'honneur qu'elle mérite, dans votre foyer, votre cercle de quartier ou votre Eglise.


Honorez votre femme !

Parmi les personnes qui n'ont certainement pas reçu de l'Eglise chrétienne l'honneur auquel elles avaient droit il y a nos sœurs. Lorsque nous savons le mépris dans lequel la femme était tenue par les Juifs (qui priaient chaque matin : « Seigneur je te remercie de ne pas être né païen ni femme ni ignorant »), nous réalisons combien l'attitude de Jésus tranche sur les mœurs ambiantes : avec quelle politesse, quelle déférence il a parlé aux femmes, comment il les a admises dans le cercle de ses disciples (Lc 8.1 ) - au grand scandale des rabbins qui disaient : Plutôt brûler la Thorah que de l'enseigner à une femme - comme il en a fait les premiers témoins de sa résurrection - alors que le témoignage de la femme n'était pas valable dans le judaïsme.

Et Paul, souvent présenté comme un mysogyne, vante Prisca et Aquilas comme ses collaborateurs (oui, Prisca est nommée la première Rm 16.3), Phœbé, diacre (il emploie le masculin comme dans 1 Tm 3.8) de l'Eglise de Cenchrées, Marie, qui s'est occupée de l'Eglise (v. 6). Tryphène et Tryphose qui ont travaillé dur dans le Seigneur (v. 13a), Perside, sa chère collaboratrice (v.12b). Ailleurs, il nomme Evodie et Syntyche qui ont combattu avec lui pour la diffusion de l'Evangile (Ph 4.2), il confie un service aux veuves (1Tm5.3-16), autorise les femmes à prier et à apporter des messages inspirés dans l'Eglise (1 Co11.4), contrairement aux habitudes religieuses de son temps.

Si nous pensons au rôle passif dans lequel la femme a été confinée dans l'Eglise durant tous les siècles de chrétienté - et jusqu'à aujourd'hui dans beaucoup d'Eglises évangéliques - nous avons toutes raisons de nous humilier parce que nous avons manqué d'honorer la fraction souvent la plus nombreuse et la plus consacrée du Corps de Christ.

L'apôtre Paul nous dit que « Dieu a disposé le corps de manière à donner plus d'honneur à ce qui en manquait », aux membres qui paraissent être les plus faibles et à ceux que nous estimons être les moins honorables (1 Co 12.22-25). Sur ce point, l'Eglise n'a certainement pas suivi l'exemple divin.

Qu'il y ait aujourd'hui des réactions vers un excès contraire dépassant les normes bibliques dans l'autre sens, quoi d'étonnant ? Nous n'avons pas à les suivre, mais à rétablir la vérité. Le cadre que la Parole de Dieu trace à la vocation de la femme est suffisamment large pour qu'elle y trouve une place correspondant à sa nature et à sa vocation, et qu'elle reçoive aussi la part d'estime et d'honneur dont son sentiment de valeur a besoin et à laquelle elle a droit.

Pierre demande particulièrement aux maris d'honorer leurs épouses comme des cohéritières de la vie « afin que rien ne vienne faire obstacle à vos prières » (1 P3.7). Si l'inobservance de ce commandement peut être une cause de non-exaucement de nos prières, cela vaut la peine d'examiner en détail où et comment nous avons omis de témoigner à nos épouses l'honneur qui leur est dû : par oubli, par négligence, par égocentrisme, par conformisme aux normes régnantes dans notre milieu, par crainte de critiques ou d'ostracisme. Les honorer signifie en premier lieu leur accorder du temps, de l'attention, considérer leur avis, les remercier pour leurs services.

Dans l'Eglise, c'est relever leur contribution souvent effacée à la vie de la communauté et leur confier officiellement des ministères en rapport avec leurs dons et leur vocation.

Certains objecteront peut-être que Pierre a aussi demandé aux femmes d'être soumises à leurs maris. C'est vrai, mais une femme honorée comme il convient, estimée et valorisée, n'aura pas de peine à accepter la place que Dieu lui a assignée dans le couple et dans l'Eglise, car cela correspond à sa nature profonde. Ensuite, comme nous le verrons, la subordination que la Parole demande est réciproque : Soumettez-vous les uns aux autres.


Honorez tout le monde (1 P 2.17).

A côté des sœurs, il y a aussi tous les «simples» membres de l'Eglise qui contribuent à sa vie, mais ne sont guère honorés pour leurs services. Lorsque Paul écrit que « Dieu a disposé le corps de manière à donner plus d'honneur à ce qui en manquait », c'est à ces membres qu'il pensait en premier lieu « afin qu'il n'y ait pas de division dans le corps » (1 Co 12,25) par une réaction de ceux qui se sentent frustrés de la valorisation qui leur revient. F Godet disait que l'on devrait « accorder les plus grandes marques de respect à ceux qui sont chargés des plus humbles fonctions et des services les moins élevés » et que l'on pourrait paraphraser ce passage ainsi : « Au frère servant dans l'agape, la meilleure portion ! Au frère balayeur, la place la plus honorable au côté du président ! » (Commentaire 1 Co, tome 2, p. 255).


Nous en sommes loin dans nos Eglises où généralement les honneurs continuent à affluer vers ceux qui déjà honorés de par leurs fonctions et mis en avant par le ministère de la parole ou de la présidence. « Honorez-vous les uns les autres » serait peut-être la solution à bien des tensions et des divisions (1Co12.25) dans nos Eglises. par Alfred Kuen  © Servir en l'attendant.